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Geste de La Barrique et ses Merces

Venez ! Venez amis entendre le récit de la Barrique et de ses Merces, entendre leur geste à travers la Terre Sainte, la Méditerranée et l’Occident, venez donc, je m’en vais vous la conter d’après les paroles de son premier intéressé…

 

« Jean la barrique. Je porte ce nom depuis de nombreuses années déjà. Ma vie est simple. Mon père étant mort avant ma naissance, ma mère entra au service de mon oncle. Celui-ci ne m’a pas reconnu comme un fils de la famille, mais il m’a élevé comme un écuyer avec son propre fils. A l’appel de la croisade, pour garder son fils près de lui et m’éloigner de sa jeune fille, à mes dépens, il me nomma chevalier sans l’officialiser, et m’envoya suivre notre bon Roi Philippe Auguste en croisade avec une épée, un plastron de cuir et des chaussures neuves. Nous étions en février 1190. J’avais vingt ans.

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 Quand je suis arrivé au camp, je fus accueilli comme un simple soldat. Nul ne pouvait me reconnaître sans titre et nom de famille. Pour la forme - ou se débarrasser de moi - je fus surnommé Jean le François et promu capitaine de la troupe de réserve constituée de mercenaires et malandrins voulant faire fortune en vols et pillages.

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Durant l’été 1190, nous quittâmes Gênes pour embarquer vers la Sicile. Nous sommes arrivés à Messine le 16 septembre. Au bout de sept mois sur cette île, nous reprîmes la mer vers la Terre sainte le 30 mars 1191, avec un débarquement à Acre le 20 avril 1191. Après le débarquement, la bataille fut longue avant que les troupes anglaises de Richard Cœur de Lion ne viennent nous rejoindre.

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Une fois la ville tombée le 12 juillet, notre bon roi repartit pour la France avec la plupart de ses seigneurs et ses chevaliers, laissant derrière lui essentiellement des piétons. C’est le duc de Bourgogne qui prit la tête des chevaliers et fantassins restés sur place. Mais il mourra en août 1192 après des mois de combats aux côtés du roi d’Angleterre.  En octobre 1192, après le départ du roi anglais et avant que la situation ne se dégrade dangereusement, je cherchais à louer mes services. D’abord auprès des troupes de mercenaires d’Henri de Champagne. Ce dernier essayait comme il le pouvait de tenir tête aux forces musulmanes. Les Etats latins avaient perdu bien des hommes, quelques mercenaires étaient alors plus que bienvenus.

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Je me sentais fatigué par toutes ces batailles et je décidai de repartir en 1195. Je me suis alors dirigé vers l’ordre du Temple pour prendre le bateau pour la Sicile. Je quittai les troupes soldées du royaume de Jérusalem pour celles des chevaliers du Christ afin de ne pas avoir à payer le prix d’un trajet que mes maigres finances n’auraient pu supporter. J’embarquai pour la Sicile, protégeant les navires de pèlerins assurant les traversées entre la Terre sainte et l’Occident.

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Durant l’une d’elles, je fis la rencontre de dame Plextrude, une Française qui travaillait au ravitaillement des troupes. Durant ce premier moment de répit je lui ai enseigné les armes et elle m’a enseigné l’amour. Elle est devenue ma compagne et prit le surnom de La Louve. Et c’est aussi à l’occasion d’une escale à Messine que j’y ai trouvé un frère d’arme, Rafael, d’origine hispanique il me semble.

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On le dit plus fort qu’un Taureau.

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Deux ans plus tard, en 1197, mon engagement auprès de l’ordre se terminait alors que je me trouvais à Chypre en compagnie de mes deux acolytes. C’est dans les tavernes de Nicosie que l’on me surnomma la Barrique. Là-bas, je rencontrai un homme, Benedict de Melgueil, qui revenait de croisade après quelques gloires illusoires et s’en retournait au pays. Nous avons également trouvé un Ecossais, surnommé le Houllier (pour son habitude à porter la voix au-dessus du raisonnable), mercenaire de Richard, oublié dans les tavernes.

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Ainsi, notre groupe s’agrandissait ; Benedict trouva une femme, Bertille de Syracuse, sûrement de bonne famille mais perdue sur cette île, sans espoir de retour, nous l’avons nommée la Couineuse. Rafael trouva une querelleuse qui voulait combattre mais dont personne ne voulait (une femme au combat !). Mordrenn la Farouche fut alors acceptée par la troupe.

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En 1198, grâce à un contact de Rafael, un homme de main nous propose un travail. Il consistait à participer à la garde d’un navire marchand s’en retournant à Messine en Sicile. Il était question d’une affaire de contrat de nolissement, mais je n’y entends guère à ces histoires de droit.  Cet homme viendrait avec nous. Son histoire était pleine de mystère : d’origine française, d’Auvergne peut-être ? Nous ne savions rien de lui, si ce n’est qu’il était digne de parole et de confiance (le Taciturne) et à l’automne 1198 nous partîmes pour la Sicile. Sur le bateau, nous rencontrions un autre homme. Il se nommait Mircò le Serbe, au passé tout aussi sombre, nommé la Terreur des harems (certainement un ancien pirate…).

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Arrivés en Sicile, notre escale dura presque trois ans. Sur place, nous trouvions fort à faire. Des évènements récents laissaient place à des combats en grand nombre entre nobles siciliens et vassaux du nouveau roi, l’empereur germanique.  A ce moment, un homme du Nord, cherchant des batailles pour la gloire, venu dans le sillon des armées impériales, nous a rejoint. Il s’agissait d’Egil Haraldson dit le Kraken (grand vainqueur d’un tournoi de cul de chouette en négatif, pour les connaisseurs). Un de plus, ça ne fait pas de mal.

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A cette époque, nombreux étaient les réfugiés de croisades, parfois belliqueux. Sans le sou, et afin de survivre, nous sommes devenus protecteurs d’une taverne à Messine. Notre groupe prit de l’ampleur. Un natif que l’on nomme le Barreau nous a rejoint. Le Barreau est sûrement un pirate, mais il nous a sorti de bien des ennuis avec les locaux, il faisait office de bourrel de temps en temps. Il y eut aussi un François, Damien des Vosges, un sacré bougre. Finalement en 1201, nous réussîmes à partir vers l’Italie avec un marchand de vin. Pour payer le voyage, nous devenions gardes de sa nef à son service. Les Italiens parleraient de « condotta » pour cette forme de service soldé. Le voyage nous mena à Pise. Dès notre arrivée au port, une voyageuse clandestine est arrêtée, trouvée dans la cale du navire. Notre employeur voulait la mettre à mort, mais la Louve l’a pris en pitié et nous intima l’ordre de la sauver séant (la Chapardeuse). Après de lourdes négociations ainsi que la prolongation de nos services, et malgré les réticences de certains, nous la sauvions des geôles (ou pire). Restant quelques nuitées à Pise, dans la commanderie templière du domaine de Sainte-Sophie, nous rencontrions une turcopole nommée Guylag qui terminait son temps d’engagement et désirait nous accompagner. En 1202, Benedict adopte une jeune fille prénommée DONNE-NOUS TON NOM !! (ou Louise). Personne ne sait d’où elle sort, mais bon, plus on est...

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Etant seul avec Bénédict à avoir un but et un semblant de famille, j’ai voulu rentrer en France. Mais en 1203, des batailles intestines reprenaient de plus belle, opposant les partisans de l’empereur à ceux du pape, les guelfes aux gibelins. L’occasion de gagner un peu d’or et de nous rapprocher de ma terre natale.

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Durant les combats, nous changions régulièrement d’employeur, en suivant l’or et la sécurité. Etant payés souvent après nos larcins nous prîmes la devise « Du sang pour de l’or ». trois Italiens vinrent renforcer notre troupe Orso (l’ours), Uriel et Helena. Sans leur participation, les négociations et les contrats auraient été difficiles en raison de la barrière de la langue.

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Moi, je sais enseigner le combat, Bénédict savait compter et El Toro faire à manger : ce fut une période difficile. Seule la chapardeuse nous apportait nourriture et équipement sans jamais qu’on sache comment. Nous faisions aussi la connaissance de deux personnages, Herbert des Bordes (le Fol) et Alix d’Armorique (la Fouine), un homme et son épouse qui préféraient combattre que de s’installer quelque part. Ils fuyaient quelque chose ou quelqu’un… Ils nous cachent un secret mais ce sont de bons amis.

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Un soir, nous avons adopté l’emblème du sanglier de gueule et d’or sur champ de sable. Je fus nommé capitaine de la troupe ; Benedict et Rafael mes seconds. Rafael préférant la castagne que de donner des ordres refusa cette responsabilité, et Benedict devint mon sergent.

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En 1205, notre périple nous mena jusqu’en Provence, puis direction la Bourgogne sur les terres de mon oncle, où j’avais espoir de m’installer avec la troupe. Mais ces terres avaient été prises par un autre seigneur, car une épidémie avait eu raison de ma famille et de ses gens. Ce fut la rencontre de la Belette - ou la bête selon ses humeurs, un homme assez sauvage mais bon combattant qui sait bien se nourrir en forêt. N’ayant plus d’attache, nous sommes partis vers les terres de Benedict de Maguelone, qui porte ce nom car il est originaire de ce pays mais non parce qu’il est noble, ou parce que ce serait le fils caché d’un noble, nous ne savions pas trop.

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Pour y parvenir, nous avons loué nos services au plus offrant.

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Ayant gagné quelques piécettes, nous avons pris la route de Montpellier. Chemin faisant, nous recueillions un pauvre hère, dans une vieille grange, nommé le Bélier, surnom dû à sa sauvagerie au combat (ou le Bouc en raison de l’odeur). Alors que comme eux nous descendions la vallée du Rhône, nous fîmes aussi la connaissance de Saucisse et de la Brindille (qui se trouvait être la sœur du Kraken). Ils avaient amorcé le pèlerinage vers la Terre sainte dans un groupe de pèlerins,  mais préférèrent rester avec nous après les retrouvailles de la fratrie.

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Alors que nous allions atteindre la vallée de Lodève, nous tombons sur un cortège de moines attaqués par des brigands. Voyant gentils moines et barriques de bières se faire éventrer, nous n’écoutâmes que notre courage et passions à l’assaut. Parmi les survivants, cachés dans les sacs de nourriture, nous récupérions un homme au passé incertain, fuyant on ne sait quoi. Nous l’avons intégré à la troupe en remerciement de lui avoir sauvé la vie. Tristan de Saintonge, point un noble, mais fils de bourgeois, lettré par les moines, il égayerait nos soirées de ses récits des temps passés et nous servirait de scribe. Une malheureuse affaire de cuisine lui octroyait le surnom de Lacoquille.

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En 1208, alors que nous étions sur les terres de Nîmes, des histoires de guerre entre chrétiens et cathares se font déjà entendre à cause de l’assassinat d’un légat à Saint-Gilles. Certains membres partirent, pour vivre leur propre histoire ou ils tombèrent au combat.

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En ces terres nous avons fait la connaissance de Mathilde et de sa sœurette Ariège. L’une était couturière, et l’autre coiffeuse et masseuse - ce qui a probablement influencé le fait que le Toro accepte aussi vite leur venue chez nous. Ou bien était-ce Bénédict ou tous les mâles de la troupe ? Enfin je ne sais pas trop… J’avais besoin d’un porte étendard et nos tenues tombaient en lambeaux. Ces deux recrues furent de bon augure. Notre troupe ayant pris de l’ampleur, Bénédict devint lieutenant et le Kraken sergent. Le Toro restait le Toro et Mathilde prenait en charge l’intendance.

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Nous voici en 1209. Une armée de seigneurs du Nord partis en croisade descend dans la région pour contrer les cathares, des chrétiens qui menaceraient l’Eglise. Nous prenons la direction de Montpellier dans l’espoir de récupérer tous les soudards possibles, et gonfler notre troupe afin de gagner de l’or. Non loin de la ville, nous rencontrons un guerrier à l’arbalète, l’Echarlote, et une trouveuse (femme exerçant l’activité de troubadour) nommée Ermenjart. Arrivés à la cité, le Toro profita d’une fête pour la majorité du fils des seigneurs de Montpellier pour entrer dans la cité et recruter le plus possible de nouvelles lames. Nous faisons alors la connaissance du Déculotté, de Tripote, du Sanguinaire, du Jouvenceau, du Cathare mystique, du Minou de l’Oural, du Varègue, du petit Pouçoie, de l’Estrangleur, de Moussette, et de Mouillette…

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Dès lors, nous parcourions le pays d’Oc, protégeant les villages contre les bandes du nord en maraude, sortis des troupes de la croisade. Rencontrant de nouveaux compagnons au fil de nos aventures qui ne cesseraient point de croître en nombre comme en danger. »

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Les amis ! Ainsi s’achève le récit qui me fut donné de-vous conter. Depuis, les Merces continuent de parcourir le sud du royaume des Francs, combattant toujours plus, versant leur sang pour de l’or.

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Déjà, plus de dix ans se sont écoulés. Nombre de valeureux sont tombés ou partis. Mais c’est là ce qui attend les mercenaires. Parmi ceux encore en vie, en voici certains. La Grenade et sa compagne (certains l’appellent la Maraichère), deux farouches combattants. Peter, dis Mille-Excuses, un Frison parti pour la Cinquième croisade et qui s’est perdu en cours de route (il a vraiment un très mauvais sens de l’orientation). Schtroux, un Gallois bien fendu de gueule, valeureux en mêlée comme à la table. Cuniculus, de son vrai nom Héloïse de la Porte de Belviala, une femme qui prétend connaître des choses de médecine, une joyeuse chirurgienne bien utile à des guerriers. Alix de Lunéville, une femme au passé quelque peu…sulfureux (selon l’avis de nos amis ecclésiastiques). Surnommée Pieds-Poilus, cette aventurière parcourait les routes du royaume, aidant les femmes en détresse, devenant la protectrice d’un groupe de « marchandes d’amour », pour rester courtois. Moérine, la Moelleuse ou la Laitière, selon les personnes. Et tant d’autres…

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Je pense qu’il est l’heure de nous quitter mes amis.

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Ah ! Et votre humble serviteur dans tout cela ? Allez, il reste un peu d’hydromel, je vais vous évoquer mon histoire sans m’étendre. Je suis Halfdan Néelson, Norvégien et fils d’artisan, originaire du comté de Vestfold dans le sud de la Norvège. J’ai répondu, tout jeune, à l’appel de l’empereur de Miklagard (Constantinople pour les anciens Vikings et les membres de la garde varangienne), pour rejoindre sa troupe personnelle de mercenaires scandinaves et anglo-saxons. Mais à la chute de la ville en 1204, j’ai cherché à rejoindre Oedoxine Comnène, dernière princesse impériale encore vivante et digne de mes services. Malheureusement, arrivé à Montpellier, elle n’était plus de ce monde et sa fille, Marie, ne voulait pas d’un garde vagabond. Je sombrais alors dans les joies de la boisson et devais être recruté par La Barrique, de passage dans une des tavernes où je croupissais. Appréciant ma descente et mes quelques qualités de combattant, ainsi que ma mémoire pour le droit et l’histoire (j’avais reçu une certaine éducation chez mon illustre employeur), il me prit dans sa troupe. Voilà, j’arrête ici. Mais il y aura d’autres nuits où je pourrais vous en dire plus (entre autres comment j’ai rencontré ma douce dans une taverne), mais pour l’heure ma choppe est vide, mes yeux lourds.

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Au revoir les amis !

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